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Une première mission

 

 

Dès le soleil levé, Wellan revêtit sa plus belle tunique et laissa les serviteurs sangler sa cuirasse verte ornée de l’emblème de l’Ordre : une croix dorée incrustée dans le cuir, au milieu de laquelle quatre étoiles à cinq branches, de belles émeraudes en leur centre, formaient une croix plus petite couchée sur des cercles concentriques. A ses yeux, il importait de toujours bien paraître devant le monarque qui l’avait accueilli dans son château et qui avait veillé sur son éducation. Il enfila ses bottes les plus luisantes et boucla sa ceinture autour de ses hanches. Il glissa son épée et son poignard dans leurs fourreaux, sous sa longue cape verte.

Lorsque ses compagnons d’armes le virent traverser la grande cour, ils se précipitèrent à la fenêtre de leur chambre respective.

— Mais où peut-il bien aller habillé comme ça ? s’exclama Bergeau qui venait à peine d’ouvrir l’œil.

Wellan n’avait vu aucune raison de prévenir ses compagnons de la requête du roi. Si Émeraude Ier avait voulu qu’ils l’accompagnent, il le lui aurait laissé savoir. Il était très important qu’un Chevalier exécute ses ordres sans jamais tenter de les interpréter à sa façon.

Les pages le guidèrent dans une partie du palais qu’il ne connaissait pas. Pourquoi Sa Majesté ne le recevait-elle pas dans la salle du trône comme c’était son habitude ? On ouvrit de grandes portes dorées devant lui et il fut surpris de trouver son monarque assis dans un immense fauteuil, un livre ouvert sur les genoux. Jamais il n’avait vu le roi lire quoi que ce soit lui-même. Il avait des serviteurs dont c’était l’unique fonction. Wellan respira profondément et s’approcha, ses talons résonnant sur le plancher de tuiles brillantes. Le roi leva aussitôt les yeux du gros bouquin et, à sa vue, son visage se fendit d’un sourire.

— L’homme que je désirais voir, déclara-t-il avec satisfaction. Approche, Wellan.

Le Chevalier s’immobilisa à quelques pas du roi, comme le voulait l’étiquette, puis posa un genou en terre. Émeraude baissa alors le livre et Wellan vit l’horrible petite créature mauve assise sur ses genoux. Définitivement moins timide, elle le regardait droit dans les yeux en mâchonnant ce qui semblait être une breloque argentée. Wellan n’avait peur de rien, pourtant, ses pupilles verticales entourées de violet le mirent mal à l’aise. Il détourna le regard sur les yeux plus chaleureux du roi.

— Vous avez demandé à me voir, Majesté, fit-il en ignorant la fillette.

— J’ai une mission pour toi, Wellan.

« Il était temps », pensa le Chevalier, qui brûlait de faire ses preuves.

— Je veux que tu portes une missive pour moi à la Reine de Shola.

Wellan sentit son cœur s’arrêter de battre. Les dieux avaient donc eu pitié de lui et décidé de lui donner la chance de déclarer ouvertement son amour à la plus belle femme d’Enkidiev. Mais le Chevalier ne devait pas laisser paraître son intérêt pour cette mission, sinon Émeraude Ier la confierait à un autre messager.

Quand dois-je partir, Altesse ? s’enquit-il en faisant taire son enthousiasme.

— Aujourd’hui, si cela est possible.

— Aujourd’hui, répéta la petite créature d’une voix aiguë.

Wellan baissa les yeux sur elle, se demandant si elle était vraiment une enfant ou un petit animal de compagnie.

— Elle commence à peine à parler, l’excusa le roi qui caressait ses cheveux violets avec affection. Elle ne comprend pas toujours ce qu’elle dit.

L’enfant sauta sur le sol avec l’agilité d’un Elfe et s’approcha de Wellan, admirant les pierres précieuses sur sa cuirasse. Elle lui montra alors le talisman qu’elle tenait fermement dans sa main et Wellan recula légèrement en apercevant les petites griffes acérées.

— Toi, Shola, ordonna-t-elle d’un ton qu’elle avait très certainement emprunté au roi.

Par réflexe, Wellan se servit de ses facultés magiques et fouilla l’esprit de cette créature étrange. Il fut surpris de constater qu’en dépit de son jeune âge, ses pensées étaient organisées et que seul son manque de vocabulaire dans une langue qui lui était étrangère l’empêchait de les communiquer.

— Oui, moi Shola, confirma-t-il, devinant qu’elle parlait de sa destination.

Un sourire apparut sur ce curieux visage inhumain, découvrant ses dents pointues. Wellan se rappela avoir déjà vu des crocs semblables dans la bouche d’un très vieux poisson qui vivait dans la rivière Sérida, laquelle séparait le Royaume de Rubis des Territoires Inconnus.

— Ne me dites pas que vous vous comprenez tous les deux ? s’étonna le roi.

— Elle a seulement deviné que vous me confiez une mission, Majesté, assura Wellan, bien qu’il ne fût pas certain que Kira avait capté toute leur conversation.

Le roi tendit gravement au Chevalier un cylindre doré contenant le message qu’il voulait remettre à la reine. Wellan n’avait pas le droit de lui en demander ouvertement la teneur, mais sans doute pourrait-il gentiment l’inciter à le lui dire. Il sonda l’esprit du roi, mais la petite fille lui agrippa brutalement l’avant-bras, le faisant sursauter.

— Non, ordonna-t-elle, en fronçant ses sourcils violets.

Wellan la contempla avec stupeur. Comment avait-elle su ce qu’il tentait de faire ? Quels étaient au juste les pouvoirs que possédait cette créature mauve ?

— Ne sois pas offensé par ses manières, Wellan, s’amusa le roi. Je crains que Kira ne soit une petite personne plutôt autoritaire. Elle me fait faire tout ce qu’elle veut.

Wellan doutait que ce fut une bonne chose. Émeraude Ier ne dirigeait pas seulement son propre royaume, il avait son mot à dire dans les affaires du continent entier.

— Dois-je partir seul, Majesté ? demanda-t-il, se refusant à accorder plus d’attention à l’enfant.

— Non. Emmène tes compagnons avec toi. Il est temps que les habitants d’Enkidiev voient mes braves Chevaliers.

— Et qui défendra votre château en notre absence ?

— J’ai encore ma garde personnelle et des centaines de paysans prêts à se battre pour conserver la paix et la prospérité que nous connaissons. Va livrer mon message à la reine, Wellan. C’est très important pour moi.

Le Chevalier inclina la tête puis se redressa. Sa stature sembla impressionner Kira qui lui atteignait à peine le genou. Il détourna les yeux de cette chose qui lui donnait la chair de poule.

— Il sera fait selon vos ordres, Majesté.

Il quitta la pièce et l’enfant mauve se retourna vers le roi. Ses yeux violets recelaient une sagesse que le monarque ne comprenait tout simplement pas. Il lui fit signe d’approcher et elle sauta sur ses genoux avec l’agilité d’un chat.

— Lire ! exigea-t-elle.

— Je crois bien que je te léguerai mon royaume si tu continues d’afficher autant d’autorité, petite fille, déclara Emeraude Ier avec amusement.

Kira se blottit confortablement entre ses bras et attendit qu’il lui enseigne d’autres mots. Le roi ne se souvenait pas d’avoir été aussi heureux.

 

* *

*

 

Lorsque Wellan entra dans le hall des Chevaliers, il trouva ses compagnons réunis autour de la table. Le silence tomba aussitôt sur la petite assemblée.

— Que se passe-t-il ? demanda Jasson au nom de tous les autres.

— Nous partons dans une heure, annonça fièrement Wellan.

— Pour aller où ? s’étonna Falcon.

— Le roi nous a confié une première mission. Nous devons aller porter un message aux seigneurs de Shola.

Il décrocha le cylindre doré de sa ceinture et le leur montra, prêt à affronter leurs questions et leurs commentaires. Cependant, ils demeurèrent tous silencieux, presque en état de choc. Ils s’étaient longuement entraînés à devenir Chevaliers, mais il semblait bien qu’aucun d’entre eux n’était disposé à quitter le nid.

— Soyez prêts à partir dans une heure, en uniforme, pour que les sujets du royaume voient qu’ils sont protégés par des hommes de valeur.

Wellan remit le cylindre dans sa ceinture et tourna les talons sous les regards inquiets de ses frères d’armes. Il se rendit directement à la chapelle du château. C’était un sanctuaire apaisant où tous les cultes du continent étaient représentés, car ce qu’Émeraude Ier désirait le plus au monde, c’était la paix, la fraternité et la tolérance entre les hommes de toutes les races. Ainsi, ne privilégiait-il aucune philosophie en particulier. Il aurait préféré que ses Chevaliers n’adorent aucune idole et qu’ils les respectent toutes, mais Wellan n’avait jamais renié la religion de son pays de naissance.

Il s’agenouilla devant Theandras, la déesse rouge qui protégeait le Royaume de Rubis où il avait laissé ses parents, le Roi Burge et la reine Mira, ainsi qu’un frère aîné appelé à devenir roi et une sœur. Contrairement à ses compagnons qui conservaient très peu de souvenirs de leurs foyers, Wellan se rappelait clairement tous les détails de sa vie au Château de Rubis et tous les voyages effectués avec sa famille dans les autres royaumes. Le Roi Burge avait l’intime conviction qu’un homme ne pouvait pas régner convenablement s’il ne connaissait pas l’univers dans lequel il vivait. Il s’était donc assuré que tous ses enfants cultivent un esprit ouvert, car n’importe lequel des trois aurait pu être appelé à lui succéder. Wellan lui en était reconnaissant, car il n’était pas aussi démuni que ses frères d’armes devant l’inconnu.

Il pria Theandras en silence, lui demandant de minimiser les effets dévastateurs de l’étoile de feu qu’il avait vue dans le ciel, puis ses pensées furent distraites par le beau visage de Fan de Shola et sa voix de satin. Comment le recevrait-elle dans son palais ? Comment son époux, le Roi magicien Shill, qui avait été le plus touché par l’exil de son père, accueillerait-il les Chevaliers d’Émeraude ? Dans sa tête, de nombreuses questions virevoltaient, qui restaient sans réponses.

Ses dévotions terminées, Wellan alla chercher ses effets dans sa chambre et se rendit aux écuries. Il fit seller les chevaux des autres Chevaliers et s’occupa lui-même de sa propre monture. Il savait que ses compagnons le rejoindraient bientôt et la chaude présence de son destrier calmait ses appréhensions. Dès qu’il fut harnaché de vert et d’or, Wellan le mena dans la grande cour. Les six autres Chevaliers s’y présentèrent quelques minutes plus tard, tenant leurs propres chevaux par la bride.

— Tu ne sembles pas très enthousiaste pour un homme qui part enfin en mission, fit Bergeau à Wellan en immobilisant sa monture près de la sienne.

— J’ai vu un signe dans le ciel, hier soir, avoua le grand Chevalier, et je crains que des embûches n’aient été semées sur notre chemin.

— Quoi de mieux pour prouver que nous avons reçu le meilleur entraînement du monde ! s’exclama joyeusement l’autre.

« Peut-être a-t-il raison », pensa Wellan.

Les serviteurs amenèrent dans la cour deux montures supplémentaires chargées de vivres et d’eau.

— Nous contournerons la Montagne de Cristal vers l’ouest, là où le terrain est plus praticable, déclara Wellan à l’intention de ses compagnons. Nous traverserons ensuite le Royaume de Diamant et celui des Elfes avant de franchir la falaise qui nous sépare des hauts plateaux de Shola. J’espère que vous avez apporté vos capes de fourrure.

— Nous y avons pensé, assura Santo en flattant l’encolure de son cheval.

— C’est notre premier long trajet sous la bannière d’Emeraude et il est de mon devoir de vous rappeler que nous devons la porter fièrement.

— Tout se passera très bien, Wellan, le rassura Falcon. Arrête de t’inquiéter.

— Nous allons seulement porter un message à un autre roi, c’est tout, ajouta Jasson.

Leur calme apparent aurait dû lui faire du bien, mais une sourde appréhension continuait de lui serrer le cœur. Il leur fit signe de monter à cheval et vit le Roi d’Emeraude debout sur le balcon de ses appartements. Il talonna son destrier et s’approcha de la façade du palais, ses compagnons derrière lui. Émeraude Ier tenait la petite princesse sholienne dans ses bras.

— Vous êtes des Chevaliers d’Emeraude, les fiers représentants de la paix et de la justice sur tout le continent. Comportez-vous en tous lieux selon le code de chevalerie.

Je vous souhaite bonne route, Chevaliers, Et que les dieux soient avec vous !

Ils s’inclinèrent tous respectueusement devant leur souverain et se dirigèrent vers les immenses portes de la forteresse. Ils allaient les franchir lorsque Élund se précipita devant eux. Wellan leva vivement la main, immobilisant aussitôt la colonne de Chevaliers vêtus de vert.

— Que se passe-t-il, maître ? s’enquit Wellan en fronçant les sourcils.

— J’ai vu un signe terrible dans le ciel.

Wellan sentit le sang se glacer dans ses veines. Il aurait tellement voulu s’être trompé quant à ce qu’il avait lui-même aperçu de sa fenêtre.

— Vous devrez faire preuve de la plus grande prudence lorsque vous approcherez des falaises de Shola.

— À cause de l’étoile de feu…, murmura le grand Chevalier.

— Oui, à cause de cette étoile. Elle a traversé le ciel du Royaume des Esprits, de celui des Ombres et de Shola. C’est le présage d’un grand malheur, je le crains.

— Dans ce cas, emmenons des soldats avec nous, suggéra Dempsey en s’approchant de Wellan.

— Allons d’abord voir de quoi il retourne, répliqua Wellan. Protéger Enkidiev, n’est-ce pas là la raison première de l’existence de notre Ordre ?

— Nobles paroles que celles-ci, Wellan, intervint le magicien, mais Dempsey a raison. Vous n’êtes pas assez nombreux pour assurer la sécurité de tout un continent. Je vous recommande donc de ne prendre aucun risque inutile. Vous pourrez toujours revenir chercher les soldats des autres royaumes.

— Je suivrai ce conseil, maître Élund, assura Wellan d’une voix étouffée.

S’il était arrivé malheur à la Reine de Shola, il n’y survivrait pas. Le magicien les laissa passer, mais de la terreur voilait ses yeux. Wellan décida de ne pas le faire remarquer à ses compagnons et lança sa monture au galop. Fermant le peloton, Jasson et Chloé tenaient les longes des chevaux qui portaient les provisions. Dès qu’ils eurent passé les grandes portes, Bergeau brandit fièrement leur étendard.

Dans les champs, les paysans interrompirent leur travail pour les regarder passer Ils ne savaient pas très bien comment sept vaillants guerriers pourraient assurer la paix du royaume, mais leurs cœurs étaient remplis d’espoir, et ils les saluèrent tandis qu’ils soulevaient un nuage de poussière sur la route menant à la Montagne de Cristal.

Après leur départ, Élund porta ses breloques à son front et murmura des incantations de protection. Il avait passé la nuit à consulter ses vieux grimoires. Très peu de boules de feu avaient ainsi traversé le ciel du continent. La dernière fois, le Roi Draka avait attaqué le Royaume d’Émeraude et, la fois précédente, un ennemi venu de la mer avait presque décimé toute la population de la côte ouest. Il semblait impossible qu’une autre catastrophe ne se soit pas produite quelque part au nord, car c’était là que se dirigeait l’étoile maudite.

De son balcon, le Roi d’Emeraude avait aperçu son magicien. La petite fille dans ses bras tendit le bras et le pointa de ses griffes.

— Peur…, murmura-t-elle.

« Mais peur de quoi ? » se demanda le roi. Il décida de regagner ses appartements et ordonna à un serviteur d’aller quérir le magicien. Dans ses bras, Kira se retourna brusquement et s’accrocha à ses vêtements en tremblant. Le roi referma ses bras sur elle.

— Tu n’as aucune raison d’avoir peur. Tu es en sécurité avec moi.

— Il la transporta dans l’antichambre où les servantes avaient disposé toutes sortes de jouets à son intention, mais elle refusa de quitter la sécurité des bras du roi. Lorsqu’il essaya de se défaire de son étreinte, ses griffes déchirèrent l’étoffe de ses vêtements et s’accrochèrent plus haut.

— Mais qu’est-ce qui te prend. ?

Il essaya de toutes les manières de la déposer sur le sol, mais elle restait fermement agrippée à lui comme un chat qu’on veut mettre dans l’eau. Le magicien arriva juste à temps dans la pièce pour assister à ce curieux spectacle.

— Ne restez pas là ! s’exclama Émeraude. Venez m’aider !

— Vous voulez que je touche à cette chose maléfique ? se scandalisa le magicien. Mais je risque de perdre tous mes pouvoirs, Majesté.

Élund craignait bien trop la créature pour venir directement en aide à son monarque, mais peut-être pouvait-il trouver un objet suffisamment lourd pour l’assommer. Kira tourna vivement la tête vers lui et le fusilla du regard.

— Ma foi, elle a le pouvoir de lire les pensées ! s’écria le magicien, effrayé.

— Peur, répéta la princesse sholienne en enfonçant la pointe de ses griffes dans la peau du roi qui poussa un cri de douleur.

Il arrêta de tirer sur ses petits bras pour la décrocher et elle se calma aussitôt. Elle grimpa encore de quelques centimètres sur sa poitrine et cacha son petit visage dans le cou d’Émeraude Ier qui se demandait comment la Reine Fan avait fait pour endurer cette enfant. Quand il fut certain qu’elle n’allait plus tenter de mettre ses vêtements en lambeaux, le roi prit place dans la berceuse. Élund se tenait toujours devant lui, le visage ravagé par l’effroi.

— Quel était donc le sujet de votre conversation avec le Chevalier Wellan tout à l’heure ? demanda-t-il négligemment en berçant l’enfant.

— J’ai vu un signe effroyable dans le ciel, Majesté. Je crains qu’un terrible malheur ne se soit abattu sur le pays où vous avez dépêché vos Chevaliers.

Kira se remit à trembler et le roi dut en venir à la conclusion qu’elle comprenait tout ce qui se disait autour d’elle.

— Peut-être est-elle capable d’interpréter nos émotions, se risqua le magicien.

— Si vous aviez moins peur de ce bébé, vous pourriez m’aider à mieux la comprendre, Élund.

— Un démon est toujours dangereux, peu importe son âge, sire.

— À part détruire ma garde-robe, elle ne m’a fait aucun mal. Pourquoi ne commencez-vous pas à travailler avec elle ?

— Parce qu’elle pourrait me voler tous mes pouvoirs, évidemment ! Et parce que, sans eux, je ne pourrais plus poursuivre l’éducation des enfants que vous m’avez confiés…

Emeraude Ier poussa un soupir. Il ne pouvait jamais avoir le dernier mot avec ce magicien. Kira continuait de trembler contre lui comme un petit animal terrifié.

— Avez-vous consulté le miroir de la destinée ? demanda le roi, désireux d’en apprendre davantage sur le présage dans le ciel.

Élund lui expliqua qu’il avait lu toute la nuit et qu’il n’avait regardé dans le grand miroir qu’aux premières heures de l’aube. Malheureusement, il n’y avait vu que fumée et flammes, rien qui puisse lui permettre de découvrir la menace qui pesait sur Enkidiev.

— Mes Chevaliers sauront l’identifier, j’en suis persuadé, déclara alors le roi. Et j’ose croire que Wellan aura la présence d’esprit de dépêcher un coursier si le danger devait s’étendre jusqu’à nous.

— Danger, répéta Kira à son oreille.

— Élund, si vous ne m’aidez pas à comprendre cette enfant, je vais devoir m’adresser à un autre magicien, le menaça le roi.

— Laissez-moi d’abord consulter mes livres et m’assurer que je peux le faire sans danger, Majesté.

Emeraude Ier lui ordonna de s’y mettre sur-le-champ. Curieusement, dès que le magicien eut quitté la pièce, Kira releva la tête. Elle posa ses mains sur les joues de son protecteur et le força à fixer ses yeux violets.

— Danger, insista-t-elle.

Le roi fut brusquement pris d’un vertige, comme si le siège de la berceuse avait soudainement cédé sous lui. Les yeux de l’enfant se transformèrent en fenêtres à travers lesquelles il vit des cavaliers noirs, chevauchant des dragons monstrueux dans la neige. Ils brandissaient tous des lances acérées, mais aucun bouclier. Loin derrière eux s’élevait une forteresse de glace. Comme s’il était aspiré dans un vide temporel, Emeraude Ier sentit de nouveau la terre ferme sous ses pieds. Kira trépignait sur ses genoux et l’observait avec insistance. Que venait-il de se produire ? Comment ces images étaient-elles apparues dans son esprit ? La jeune Sholienne en était-elle responsable ?

— Danger, fit-elle encore.

— Cette nuit, je vais poster des sentinelles sur les remparts. Surtout, ne sois pas effrayée, petite fille. Personne ne viendra te faire de mal ici.

Il la serra contre lui avec affection, se promettant de s’entretenir en privé avec son magicien dès que l’enfant serait au lit. Ces images n’étaient peut-être que l’expression de l’insécurité qu’elle ressentait dans ce monde totalement étranger pour elle, mais il voulait tout de même les décrire à Élund.

 

* *

*

 

Troublé, le magicien était retourné dans sa tour Déjà, les enfants commençaient à arriver dans la salle d’enseignement. Il devrait donc remettre sa lecture à plus tard. Il alla s’asseoir au milieu du premier groupe : deux filles et sept garçons âgés d’une dizaine d’années et, parmi eux, le premier représentant du pays des Elfes. Menu, Hawke avait la peau aussi immaculée que la neige. Ses grands yeux verts ne perdaient rien de ce qui se passait autour de lui et ses pouvoirs de déduction s’avéraient remarquables, mais Élund doutait de sa capacité à manier les armes. Les représentants de sa race étaient des as du camouflage, pas des guerriers. Et puis, comment arriverait-il à soulever une épée aussi lourde que lui ?

Heureusement, ces élèves avaient encore toute une année d’études avant de devenir officiellement Ecuyers. Il leur distribua des parchemins en dialectes étrangers afin qu’ils les traduisent dans la langue d’Emeraude, qui deviendrait un jour la langue écrite de tous les peuples. Élund déambula entre les jeunes aspirants qui déroulaient les vieux parchemins avec beaucoup de révérence. Déjà, la fière Bridgess s’affairait à transcrire sur un papyrus tout neuf les premiers mots qui s’étalaient devant elle. Que de promesses dans cette belle enfant blonde originaire du Royaume de Perle. Depuis son arrivée au château, elle excellait dans tout ce qu’elle entreprenait. Il était assuré qu’elle serait l’apprentie la plus dévouée de l’Ordre.

Il aperçut alors Hawke assis devant le rouleau de vieux papier bruni, les yeux fixes, le cœur visiblement lourd d’inquiétude et de questions. Élund ramassa les pans de sa tunique et de sa cape et s’assit devant le jeune Elfe.

— Qu’y a-t-il, Hawke ? demanda le magicien en arquant ses épais sourcils gris.

— J’ai vu le feu dans le ciel, murmura-t-il pour que les autres ne l’entendent pas. Je n’étais pas très âgé quand mes parents m’ont emmené ici, mais je me souviens encore de ce que disaient les Anciens au sujet du feu dans le ciel.

Autour de lui, certains des élèves s’étaient retournés pour l’écouter. Ils n’avaient pas vraiment besoin d’entendre sa voix pour comprendre ce qu’il disait, car ils pouvaient lire les pensées les uns des autres. Kevin, originaire du Royaume de Zénor, se montrait tout particulièrement sensible aux émotions de ses condisciples.

— Que disaient-ils ? insista Élund, légèrement contrarié.

Les Chevaliers devaient se fier à leur instinct et à leurs pouvoirs magiques et non se laisser distraire par des superstitions qu’on continuait de répandre sur le continent.

— Qu’un grand malheur allait bientôt se produire.

— Est-ce que tu as peur, Hawke ?

— Je sais que les Chevaliers ne doivent jamais céder à la peur, maître Élund, mais c’est très difficile parce que je ressens beaucoup de terreur ici, fit l’enfant en posant la main sur son cœur. Et cette terreur n’est pas mienne.

— À qui est-elle alors ?

— Je l’ignore…, mais je crains qu’elle n’appartienne à un grand nombre de personnes, peut-être même tout un peuple.

Cette fois, les élèves cessèrent de travailler pour se tourner vers le magicien. Élund ne voulait certes pas les effrayer, mais ils avaient été habitués à entendre et à dire la vérité.

— Il est arrivé un grand malheur, n’est-ce pas, maître Élund ? demanda Hawke.

— Je l’ignore tout autant que toi, mon petit, soupira-t-il, mais il est vrai que le passage du feu dans le ciel a toujours précédé des événements tragiques.

— C’est pour cette raison que les Chevaliers ont quitté le château ? demanda Kevin en se tordant les mains d’appréhension.

— Non, assura le magicien. Sa Majesté leur a confié une mission.

— Alors, ils le verront si quelque chose est arrivé ailleurs sur le continent ? insista Nogait, originaire du Royaume de Turquoise.

— Ils le verront.

Il allait être bien difficile d’exiger de ses élèves qu’ils retrouvent leur concentration, car même s’ils étaient devenus des enfants d’Emeraude, ils s’inquiétaient encore pour leurs royaumes de naissance. Mais Élund n’avait pas vraiment le choix. Ces enfants étaient de futurs Chevaliers, ils ne pouvaient pas se laisser envahir par leurs émotions.

— Il n’y a rien que vous puissiez faire pour aider le Chevalier Wellan et ses compagnons sinon poursuivre vos études pour pouvoir les seconder dans leurs missions de paix sur Enkidiev. Et aujourd’hui, ces études comportent le décryptage de vieux documents.

Le magicien se releva et contourna les tables de travail avec un air des plus sévères. Les élèves connaissaient bien cette expression. Ils retournèrent donc à leurs parchemins, même Hawke, qui déroula le sien d’une main tremblante.

— Je vais aller m’occuper des plus jeunes, déclara Élund. À mon retour, je veux que vos traductions soient terminées.

Le magicien se dirigea vers les grandes portes sous leurs regards accablés, mais il savait qu’ils feraient ce qu’il leur avait demandé. Après tout, ils étaient de futurs Chevaliers d’Émeraude.

 

* *

*

 

De son côté, le roi avait calmé Kira de la même façon qu’il avait réussi à la faire descendre de la fenêtre de la cuisine, grâce à un biberon de lait chaud. Elle s’y était accrochée comme un petit chat affamé et il avait enfin pu la déposer sur son lit. La laissant sous la surveillance d’Armène, Émeraude Ier était allé changer sa tunique déchirée en se demandant si les autres parents du royaume se heurtaient aux mêmes difficultés avec leur progéniture. Armène resta quelques minutes au chevet de la petite et, constatant, attendrie, qu’elle s’endormait lentement en tétant, elle s’affaira à ranger sa chambre en chantonnant, totalement absorbée par ses tâches domestiques.

 

* *

*

 

Dans la grande tour, le magicien pénétra dans une autre pièce circulaire où se trouvaient ses plus jeunes élèves. La plupart avaient six ans, sauf Colville, originaire du Royaume de Jade, qui n’en avait que cinq, mais qui affichait une vive intelligence. À cet âge, il fallait surtout leur enseigner à maîtriser leurs nouveaux pouvoirs. C’est seulement plus tard qu’il pourrait leur inculquer les principes de l’Ordre quant à leur utilisation.

Les enfants formaient un cercle autour d’un grand bac à sable et tous leurs yeux innocents se tournèrent vers lui. « L’avenir du royaume », pensa Élund en s’asseyant avec eux. Le premier exercice du matin s’avérait plutôt simple pour ces enfants surdoués. A tour de rôle, ils devaient utiliser la seule force de leur esprit pour fabriquer des formes dans le sable. La majorité recréait des objets qui leur avaient été familiers dans leur vie auprès de leur famille. Seule la jeune Ariane, originaire du Royaume des Fées, aimait matérialiser des fleurs.

Élund les regarda s’exécuter avec un sourire de satisfaction. Ils étaient encore plus doués et plus dociles que la classe qui les avait précédés. C’est alors qu’il vit l’enfant mauve se glissant dans la pièce sur la pointe des pieds et un frisson d’horreur parcourut son dos. Mais que faisait-elle sans surveillance dans sa tour ? Sans doute avait-elle été attirée par les babillages des enfants ou bien était-ce un de ses sens inconnus qui l’avait guidée jusqu’à lui ? Le magicien l’observa en silence, curieux de voir ce qu’elle mijotait, prêt à intervenir avec sa magie si elle tentait d’assaillir un autre enfant.

La Sholienne, deux fois plus petite que les élèves, se faufila entre eux et observa leurs jeux dans le sable. Lorsque Pencer, originaire du Désert, laissa retomber son cactus en poussière, Kira leva le bras et fit tourner les grains de sable en un tourbillon qui plut aussitôt au groupe. « Pas mal du tout », pensa le magicien, en espérant qu’elle ne préparait pas quelque tour diabolique.

Le sable arrêta de tourner et ses grains sculptèrent la forme monstrueuse d’un dragon marchant sur ses quatre pattes, la gueule ouverte. Il siffla comme un serpent en direction des enfants qui ouvrirent de grands yeux effrayés. Sur le dos du dragon se tenait une créature humanoïde au visage hideux, une longue lance à la main.

— Kira, nous ne voulons pas de ça ici, l’avertit le magicien.

— Shola, dit la petite en posant ses yeux violets sur lui.

Même si elle avait dirigé son attention vers Élund, sa création maléfique continuait de tourner sur elle-même et d’effrayer les élèves.

— Peur, chuchota l’enfant mauve en recommençant à trembler.

— Tu aurais bien moins peur si ton imagination n’inventait pas des monstres semblables, pauvre sotte.

— Peut-être y en a-t-il chez elle, intervint Hettrick.

— Son royaume est couvert de neige, jeune homme, répondit le magicien. Des dragons ne pourraient pas survivre à Shola.

— Shola, répéta Kira qui souhaitait désespérément qu’Élund comprenne ce qu’elle essayait de lui dire.

D’autres personnages se matérialisèrent dans le sable et se mirent à courir en tous sens, arrachant des cris de surprise aux jeunes élèves. Le dragon et son cavalier se lancèrent à leur poursuite et les massacrèrent.

— Kira, en voilà assez ! tonna Élund.

Tous les personnages de sable s’évanouirent d’un seul coup et Kira recula en direction de la porte, heurtée par la colère de l’adulte qui se dressait comme une tour devant elle.

— Les Chevaliers sont des guerriers qui ne se battent que quand c’est nécessaire, déclara Élund. Les jeux de guerre ne les amusent pas et le meurtre de pauvres innocents non plus. Je ne tolérerai plus ce genre d’interférence durant mes classes. Est-ce bien clair ?

Kira ne comprenait pas les mots que le magicien employait, mais ses intentions étaient évidentes. Non seulement son message le laissait indifférent, mais il avait même réussi à le mettre en colère. Personne dans ce château ne comprenait la gravité de ce qui venait de se produire à Shola. Elle tourna les talons et se sauva en courant. Élund rappela aussitôt ses élèves à l’ordre et les fit taire lorsqu’ils voulurent en savoir plus long sur l’enfant mauve.

 

* *

*

 

Armène avait mis du temps à réaliser que sa jeune protégée n’était plus dans son lit. Après l’avoir cherchée partout dans la chambre, elle sonna l’alarme. Les serviteurs l’aidèrent dans ses recherches, mais Kira n’était nulle part. Le roi fut alors prévenu de sa disparition et il mobilisa tout le personnel du château pour la retrouver. Émeraude Ier exigea que ses gens fouillent le moindre recoin et bientôt une des servantes aperçut la princesse perchée sur une haute armoire au milieu du corridor Le souverain et Armène furent tout de suite appelés sur les lieux.

— Mais comment a-t-elle bien pu grimper jusque-là ? s’étonna Émeraude Ier.

Armène et le roi tentèrent d’appâter l’enfant en agitant un biberon sous son nez, mais elle refusa obstinément de bouger. À bout d’arguments, le monarque ordonna à ses serviteurs d’aller lui chercher une échelle à l’écurie afin qu’il puisse lui-même secourir Kira.

— Vous n’y pensez pas, sire ! protesta Armène.

— Vous oubliez les dents pointues et les griffes acérées de cette enfant, fit-il. Croyez-vous vraiment que nous pouvons demander à une personne qu’elle ne connaît pas d’aller la chercher ?

— Dans ce cas, ce sera moi.

Dès que l’échelle fut placée contre l’armoire, la servante en grimpa prudemment les barreaux. Le spectacle qui l’attendait lui déchira le cœur. Recroquevillée sur elle-même et adossée contre le mur de pierre, Kira pleurait toutes les larmes de son corps.

— Mama…, murmura-t-elle en reconnaissant Armène.

La servante agrippa la tunique humide de l’enfant et l’attira dans ses bras, puis elle redescendit prudemment l’échelle et se tourna vers le roi.

— Je pense qu’elle vient de réaliser qu’elle a été définitivement séparée de sa mère, s’attrista Armène.

Le Feu dans le ciel
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